Comme d’autres phénomènes mondiaux, les migrations ont été conditionnées par des conflits géopolitiques historiques. Dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), qui est depuis longtemps un foyer de tensions politiques et armées, les répercussions s’étendent bien au-delà des frontières nationales et ont un impact significatif sur la vie de millions de personnes.
Ces dernières années, la région MENA a été confrontée non seulement aux défis de la pandémie de COVID-19, mais aussi aux conséquences durables des tensions politiques persistantes. Les conflits à Gaza et au Soudan se sont intensifiés, tandis que les tensions et l’insécurité persistent en Syrie, au Yémen et en Irak, contribuant à faire de la région un point d’origine, de transit et de destination clé pour divers groupes de migrants.
Crises humanitaires en cours
En 2020, la région comptait 40,8 millions de migrants internationaux, dont des réfugiés enregistrés, et plus de 22,2 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. L’offensive militaire actuelle à Gaza, combinée à la poursuite de l’annexion, de la dépossession des terres et de l’expulsion forcée des habitants de la Cisjordanie, a déclenché une crise humanitaire, entraînant un grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine. Au cours des dernières décennies, l’occupation militaire israélienne historique, le blocus et la violence persistante ont contraint de nombreuses personnes à chercher refuge dans les pays voisins tels que l’Égypte, la Jordanie, le Liban et la Turquie, tandis que d’autres ont été déplacées à l’intérieur de la Palestine, subissant des conditions de logement instables et un accès limité aux services de base tels que les soins de santé.
De même, le Soudan, souvent négligé par les grands médias, est le témoin de conflits prolongés. Les combats à Khartoum entre les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide, combinés aux besoins humanitaires existants, ont entraîné des déplacements massifs et la destruction d’infrastructures essentielles telles que des maisons, des hôpitaux et des églises. Le Darfour a été le témoin de massacres intercommunautaires et de nettoyage ethnique, ce qui a entraîné des déplacements massifs à l’intérieur du Soudan et vers les pays voisins. Selon le UNHCR, le Soudan est le pays qui compte le plus grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur de son territoire. En effet, l’absence d’action internationale a perpétué un “cauchemar humanitaire” marqué par la violence sexuelle, la destruction des infrastructures et le pillage.
Les implications sanitaires du voyage des migrants
Les pays de la région MENA servent également de points de départ pour les migrants qui cherchent à atteindre l’Europe en raison de ces conflits. La proximité des côtes marocaines et tunisiennes avec les côtes européennes, associée à l’absence de conditions stables dans ces pays, a poussé des individus et des familles à se lancer dans des voyages dangereux à travers la Méditerranée. Le bilan est désolant : plus de 28 000 migrants perdus ou disparus entre 2014 et aujourd’hui.
Les déplacements résultant de conflits géopolitiques ont de profondes répercussions sur la santé des migrants. Le voyage lui-même, marqué par des conditions de surpeuplement et d’insalubrité, expose les migrants à des maladies infectieuses, à des blessures physiques, à la violence et à des problèmes de santé mentale. L’accès limité aux services de santé pendant les déplacements aggrave ces problèmes, et l’exclusion des migrants des systèmes d’information sur la santé entrave l’élaboration de politiques de santé adaptées aux besoins spécifiques de ces groupes.
Solutions innovantes : Relever les défis de la santé dans la région MENA
Pour répondre à ces questions urgentes, le Consortium pour la santé des migrants de la région MENA, créé en 2021, dirigé par ISGlobal et financé par la Fondation “la Caixa”, développe l’outil Migrant Health Country Profile (MHCP-t), un outil innovant pour surveiller les indicateurs clés de la santé des migrants dans la région.
Sur la base de la littérature scientifique disponible dans la région et de solides études de recherche qualitative au Maroc et en Tunisie, le Consortium vise à comprendre les indicateurs de santé, les perceptions et les besoins des populations migrantes. En outre, des secrétariats pour la santé des migrants sont mis en place au Maroc, en Tunisie, en Égypte et au Yémen, composés d’experts gouvernementaux, non gouvernementaux, représentants de la communauté des migrants et du domaine universitaire, afin de diriger la mise en œuvre de l’outil à l’échelle nationale. En outre, un réseau de chercheurs sur la santé des migrants dans la région est mis en place, notamment six doctorants internationaux au Maroc, en Tunisie et au Soudan. En fait, nos étudiants soudanais ont eux-mêmes fait l’expérience directe du voyage migratoire puisque les tensions politiques dans leur pays les ont poussés à se réfugier en Égypte pour poursuivre leur carrière professionnelle.
Les défis croissants de la migration internationale et régionale doivent être compris comme faisant partie du contexte géopolitique. La migration ne doit pas être abordée comme une simple question humanitaire, elle nécessite une réponse politique intégrée et holistique. À l’occasion de la Journée mondiale du migrant, ne nous contentons pas de reconnaître les luttes, mais nous nous engageons aussi à prendre des mesures transformatrices qui respectent la dignité et les droits de chaque migrant, en favorisant un avenir où les conflits géopolitiques ne dicteront plus le cours de la vie humaine.
